A la une

Paroles d'étudiants (9) : Laurène, le social à fleur de peau

Notre série de portraits d'étudiants en travail social s'étoffe avec celui de Laurène Jouffrey, en formation d'aide médico-psychologique (AMP) dans l'Isère. Pour cette femme de 29 ans, le choix de travailler dans le social s'est imposé au fil d'un parcours chaotique marqué par une grande désillusion. Cette formation d'AMP l'aide à devenir une "vraie professionnelle".



Forcément, au départ, on ne voit que ça. Un immense sourire. Au fil des minutes, on saisit chez Laurène Jouffrey une sensibilité à fleur de peau. Elle se maîtrise pour contenir son émotion quand les questions du journaliste la renvoient à son passé. Encore douloureux même si les faits remontent à plus de dix ans.

Une passion corps et âme

Quand on lui demande à quel moment elle a été saisie par le "virus" du travail social, elle raconte, sans hésiter son histoire personnelle. Elle parle de la petite fille de Villard-de-Lans, sur le plateau du Vercors, qui, pendant ses années d'enfance et d'adolescence, s'est donnée corps et âme à sa passion : la danse sur glace. "Je m'entraînais 15 heures par semaine", raconte-t-elle. Passion exclusive, dévorante, mais qui, un jour, s'arrête net suite à un désaccord profond avec son partenaire... Elle est en Première et il faut revoir de fond en comble son projet de vie et ses rêves. Peut-on d'ailleurs rêver après une telle désillusion ?

Rencontre avec une psychomotricienne

Une dizaine d'années après, on retrouve Laurène à l'institut de formation en travail social (IFTS) d'Echirolles, dans la banlieue populaire de Grenoble. Elle est en cours de formation pour devenir aide médico-psychologique (AMP). Mais ce choix n'est pas venue tout seul ; il est le fruit d'un long cheminement.

Après le bac, elle se demande vers quoi s'orienter. Un jour, elle a rencontré une psychomotricienne qui "souriait et transmettait une force de vie incroyable". C'était décidé : Laurène allait devenir psychomotricienne. Sauf que la formation était très sélective, durait trois ans et était dispensée dans une poignée d'écoles. La barre était trop haute pour Laurène qui sortait à peine la tête de l'eau après sa grande désillusion. Elle s'inscrit en médecine, mais lâche vite l'affaire. Trop dur surtout lorsqu'on a obtenu un bac ES (économique et social).

Bouleversée par les enfants épileptiques

Les années qui suivent sont celles des tâtonnements et de la reconstruction. Laurène travaille dans la restauration, rencontre celui qui va devenir son mari, fait un enfant et s'occupe de la fille qu'avait eue son mari. "A ce moment-là, j'ai voulu m'occuper des enfants." Elle fait quelques remplacements dans un institut médico-éducatif (IME) qui accueille des enfants épileptiques. D'abord quelques heures par ci par là, puis une semaine, puis un mois. Au début, elle ne le cache pas, elle est "bouleversée" par ces enfants dont elle s'occupe, apprend à se familiariser avec leur handicap qui, au départ, lui fait un peu peur.

Comment "se blinder" ?

Et puis, clin d'oeil de l'histoire, elle fait un stage dans cet IME avec la psychomotricienne. "Pendant ces trois semaines, j'ai découvert les enfants autrement, j'ai vu les progrès qu'ils faisaient. C'était une expérience incroyable", confesse-t-elle avec une émotion forte dans le regard.

Se blinder, gérer ses émotions... Laurène ne cache pas que c'est sa principale difficulté pour être dans l'accompagnement de personnes abîmées par les épreuves. Combien de fois a-t-elle entendue cette réflexion : "Laurène, vous allez trop loin." Elle se bat pour ne pas être rattrapée par ses vieux démons. C'est ce que certains appellent, se reconstruire (voir la vidéo).

Il faut prendre son temps

La formation d'AMP lui apparaît comme adaptée à ce qu'elle est et ce qu'elle veut devenir. Une formation courte sur un an, compatible avec ses responsabilités de mère de famille et ses contraintes financières. Huit mois après le début de ses cours, elle dit simplement : "Cette formation me colle à la peau. C'est hyper intéressant." Elle a notamment retenu un conseil d'une professionnelle donnant des enseignements à l'IFTS : il faut prendre son temps pour faire de bons accompagnements.

Des stages dans de petits établissements

Son premier stage de trois mois, elle l'a effectué dans un tout petit Ehpad à Villard-de-Lans. Elle qui n'a jamais côtoyé ses grands-parents dit que ça a été "une découverte". Et si elle s'est sentie bien, c'est que l'établissement accueillait simplement une vingtaine de résidents.

Le second stage, elle l'accomplit dans un IME accueillant des enfants autistes. Là aussi, la taille réduite de l'institut (dix enfants) l'a séduite. Avec eux, elle a construit des objets de musique. Après le diplôme au printemps, elle ne sait pas trop ce qu'elle va faire. Sans doute travaillera-t-elle avec des enfants ou des personnes handicapées. Le vieillissement la séduit moins, mais on ne sait jamais... "Je veux me laisser du temps avant de choisir", dit-elle.

Devenir une "vraie professionnelle"

Ce qu'elle sait, en revanche, c'est qu'elle est devenue "une vraie professionnelle", capable de mettre de la distance et de ne pas être emportée par ses émotions. Et elle vous dit ça, droit dans les yeux, avec un large sourire. Celui des gens qui savent désormais ce qu'ils veulent faire de leur vie...   

 



Retrouvez nos précédents portraits :

Le 9 octobre : Coralie, passion EJE (lire ici)

Le 16 octobre : Aurélien, un homme dans un "monde de femmes" (lire ici)

Le 23 octobre : Julien ou la passion pour les jeunes "cabossés" (lire ici)

Le 30 octobre : Emilie, l'AS qui voulait changer le monde (lire ici)

Le 6 novembre : Yoann, en Deis et en quête de sens (lire ici)

Le 13 novembre: Ophélie, le travail social sans tabou (lire ici)

Le 20 novembre : Céline, assistante sociale sur le tard (lire ici)

Le 27 novembre : Ornella ou le choix de l'ouverture (lire ici)



Prochain portrait : Flore, un double cursus à l'IRTS Montrouge

 

Noël Bouttier
Ecrit par
Noël Bouttier